Vous trouverez ici le texte de l'introduction générale de ma thèse de doctorat. Je regrette que le texte complet n'est pas disponible. Si vous désirez savoir davantage sur ce travail, l'essentiel se trouve dans les articles que j'ai publiés avec l'équipe d'Orsay. |
Le miroir à atomes est un élément-clé de l'optique atomique pour plusieurs raisons :
En optique habituelle, les miroirs ont permis de construire des systèmes optiques non dispersifs, ce qui fut une avancée significative pour les téléscopes astronomiques, par exemple. La question est de taille pour l'optique atomique parce que les faisceaux d'atomes sont généralement loin d'être monochromatiques (monocinétiques).
En dotant le miroir d'une surface concave, il se transforme en une lentille avec laquelle l'on peut focaliser un faisceau atomique. Comme la longueur d'onde des atomes est généralement beaucoup plus petite que la longueur d'onde optique, un faisceau d'atomes focalisés serait un outil de préférence pour deux applications de l'optique atomique qui émergent actuellement dans la recherche : d'une part dans la lithographie atomique où les atomes servent à écrire des structures sur un substrat [McClelland93,Prentiss92,McClelland96,Mlynek96] ; et d'autre part dans l'analyse de surfaces : l'on mesure alors ou bien les atomes diffusés par une surface [Toennies93], ou bien - s'il s'agit d'atomes métastables - l'électron éjecté lorsque l'atome entre en contact avec la surface [Hammond92]. Dans les deux applications, les atomes pourraient permettre d'atteindre une résolution spatiale sur la surface qui est de l'ordre de quelques nanomètres.
Le miroir à atomes permet de réaliser des interféromètres atomiques où il retourne les trajectoires atomiques pour recombiner les bras de l'interféromètre. L'interférométrie atomique [Borde89] présente d'abord une haute résolution à cause de la petite longueur d'onde atomique, et ensuite, ayant une masse non nulle, les atomes sont sensibles au champ de pesanteur [Chu92] ainsi qu'aux forces d'inertie [Kasevich97].
Finalement, le miroir se transforme en réseau de diffraction lorsque sa surface présente une modulation périodique. L'onde atomique incidente est séparée en plusieurs ondes diffractées qui se propagent dans des directions différentes. Ces ondes sont cohérentes entre elles de sorte que le réseau en réflexion peut servir de séparatrice dans un interféromètre. La diffraction d'atomes par une onde évanescente stationnaire a été proposée par J. V. HAJNAL et G. I. OPAT de l'Université de Melbourne (Australie) en 1989 [Opat89], et le même groupe a également proposé des réseaux de diffraction électrostatique et magnétique en 1992 [Cimmino92]. La diffraction par une onde évanescente stationnaire fut observée en 1994 par le groupe de W. ERTMER, alors à l'Université de Bonn (Allemagne) [Ertmer94], ainsi que par le groupe de V. LORENT de l'Université de Paris-Nord à Villetaneuse, en 1996 [Brouri96]. Le groupe de J. DALIBARD au Laboratoire KASTLER-BROSSEL de l'Ecole Normale Supérieure (Paris) réalisa la diffraction d'une onde atomique « dans le temps », en la réfléchissant par un miroir à modulation temporelle [Dalibard95a]. A la différence d'un réseau de diffraction dans l'espace, l'onde atomique reçoit alors des transferts de fréquence (énergie) plutôt que de vecteur d'onde (impulsion).
En somme, nous constatons que le miroir à atomes est un élément de grande fléxibilité de l'optique atomique, et qu'il permet de réaliser à la fois la réflexion et la diffraction d'atomes. Ceci dit, les questions suivantes se posent pour l'opticien :
Le miroir est-il dispersif ? Autrement dit : quelle est la phase de l'onde atomique réfléchie, et comment dépend-elle de la longueur d'onde incidente ?
La réflexion par le miroir est-elle spéculaire ? ou plus précisément : quelle est la limite de résolution angulaire de la réflexion et quelle qualité de surface est requise pour obtenir une réflexion spéculaire plutôt que diffuse ?
Dans quelle mesure la réflexion par le miroir déforme-t-elle le front d'onde atomique ? La phase de l'onde atomique est-elle suffisamment préservée pour que des franges puissent être observées dans un interféromètre ?
Quant au réseau de diffraction en réflexion, quelle est la séparation angulaire des ondes atomiques diffractées, et combien d'ordres sont présents dans la figure de diffraction ? Quels sont les paramètres qui déterminent ces quantités ?
Les questions énoncées ci-dessus trouveront leur réponse tout au long de ce mémoire : c'est ainsi qu'à la partie I, où nous étudions la réflexion spéculaire par le miroir, nous nous intéressons d'une part à l'énergie incidente maximale des atomes qui puissent être réfléchis (chapitre 2) et d'autre part à la phase de l'onde atomique après la réflexion (chapitre 3). Dans la partie II, nous développons la théorie de la diffraction par un miroir avec une modulation spatiale. Cette théorie servira dans la partie III à caractériser la réflexion diffuse d'atomes à cause des irrégularités de la surface du miroir (chapitre 15), à la fois du point de vue de la divergence angulaire des atomes diffusés et à l'égard des propriétés de cohérence de la réflexion par le miroir.
Le physicien se voit tout d'abord devant la charge de préparer un ensemble d'atomes lents qui puissent être réfléchis par le miroir. S'il admet que le miroir est caractérisé par une barrière de potentiel, cette barrière aura certainement une hauteur finie ; il faudra donc que les atomes aient une vitesse incidente dont la composante le long de la normale à la surface du miroir ne soit pas trop élevée. Dans la pratique, deux stratégies sont suivies pour remplir cette condition de réflexion : en ordre chronologique, la première utilise un jet d'atomes thermiques, avec une vitesse de l'ordre du millier de mètres par seconde, qui est incident sur le miroir sous un angle rasant. C'est ainsi que le groupe de V. S. LETOKHOV à l'Institut de Spectroscopie de l'Académie des Sciences de Russie (Troitsk) réalisa la première observation de la réflexion d'atomes par une onde évanescente [Balykin87,Balykin88]. En incidence rasante, les jets d'atomes incident et réfléchi sont généralement séparés par un angle de quelques milliradians et par conséquent, une bonne collimation du jet est nécessaire, moyennant par exemple des fentes. Dans la suite, la réflexion d'atomes en incidence rasante fut observée par les groupes de T. HäNSCH de l'Université Ludwig Maximilian à München (Allemagne) [Haensch93], de J. BAUDON de l'Université de Paris-Nord à Villetaneuse [Baudon93] ainsi que de J. MLYNEK de l'Université de Konstanz (Allemagne) [Mlynek94b,Mlynek94c].
La deuxième stratégie part d'un ensemble d'atomes qui sont piégés dans un piège magnéto-optique1 à quelques millimètres au-dessus du miroir. Les atomes tombent sur le miroir dans le champ de pesanteur terrestre, ce qui leur donne une vitesse incidente de l'ordre du mètre par seconde. La première réalisation expérimentale de cette stratégie avec une onde évanescente lumineuse est due au groupe de S. CHU de l'Université de Stanford (Etats-Unis) [Chu90], et le groupe de J. DALIBARD et de C. COHEN-TANNOUDJI de l'Ecole Normale Supérieure a pu observer les atomes rebondir une dizaine de fois sur le miroir [Cohen93b]. La réflexion par un miroir magnétique d'atomes tombant d'un piège a été rapportée par le groupe de E. HINDS, alors à l'Université de Yale (Etats-Unis) [Hinds95], et par le groupe de P. HANNAFORD et de G. I. OPAT de l'Université de Melbourne (Australie) [Hannaford96].
Nous notons que la réflexion d'atomes qui tombent d'un piège, n'est possible que grâce au refroidissement d'atomes par laser [Schawlow75,Gordon80,Cohen85b,Cohen89,Aspect89,Chu89] qui permit de réaliser des ensembles d'atomes extrèmement bien caractérisés du point de vue de leur mouvement. Les atomes froids ouvrirent des perspectives entièrement nouvelles pour la physique et l'optique atomiques, et pour ne citer que l'exemple le plus frappant, ils préparèrent le chemin, dans un passé tout récent, vers la réalisation expérimentale de la condensation de BOSE-EINSTEIN dans un gaz d'atomes [Cornell95c,Hulet95b,Ketterle95,Ketterle96a].
Disposant ainsi d'atomes suffisamment lents, regardons de plus près comment une onde évanescente lumineuse permet de réfléchir des atomes. Rappelons que l'onde évanescente est créée lorsqu'un faisceau de lumière subit une réflexion totale interne sur l'interface entre deux milieux diélectriques qui ont des indices de réfraction différents. Le faisceau est incident dans le milieu de plus haut indice, et dans le milieu de faible indice (il s'agit généralement de l'air ou du vide), la lumière se propage parallèlement à l'interface, avec une amplitude qui décroît de façon exponentielle en fonction de la distance à l'interface. Une telle onde évanescente correspond à une « couche de lumière » dont l'épaisseur est d'une fraction de la longueur d'onde optique.
L'ingrédient essentiel pour comprendre l'interaction entre l'atome et l'onde évanescente est le déplacement des niveaux d'énergie atomiques dans un champ lumineux intense avec une fréquence voisine de la résonance atomique. Plus précisément, l'on montre que l'énergie de l'état fondamental de l'atome est augmentée si la fréquence lumineuse se trouve au-dessus de la fréquence de résonance de l'atome. Dans l'onde évanescente, l'intensité du champ lumineux2 et par conséquent le déplacement lumineux présentent un fort gradient qui repousse l'atome de la surface du diélectrique. Lorsque la saturation de la transition atomique est faible, l'atome reste dans son état fondamental et la probabilité d'émission spontanée est négligeable. Le déplacement lumineux joue alors le rôle d'un potentiel mécanique, le potentiel dipolaire, qui détermine le mouvement de l'atome par les lois habituelles de la dynamique. En particulier, l'atome est réfléchi si son énergie cinétique incidente (le long de la normale à la surface) est inférieure à la valeur maximale du potentiel dipolaire. Il s'approche de la surface du diélectrique en ralentissant, jusqu'à la distance où le potentiel dipolaire est égale à l'énergie cinétique incidente. A cette position, l'atome rebrousse chemin pour sortir de nouveau de l'onde évanescente. Il reprend son énergie cinétique incidente une fois qu'il est suffisamment loin de la surface que le champ lumineux est négligeable.
En somme, l'onde évanescente crée donc une barrière de potentiel répulsive par laquelle l'atome est réfléchi. Etant donné que la distance du point de rebroussement est de l'ordre d'une fraction de la longueur d'onde optique, le physicien se souviendra cependant que l'interaction de VAN DER WAALS entre l'atome et la surface n'est pas forcément négligeable devant le déplacement lumineux dans l'onde évanescente. L'interaction de VAN DER WAALS provient des fluctuations quantiques du dipôle atomique : celui-ci crée alors un champ électro-magnétique qui est réfléchi par l'interface et interagit de nouveau avec le dipôle [LennardJones32,Mehl80,Haroche92]. Pour l'état fondamental de l'atome, l'interaction de VAN DER WAALS est attractive et réduit donc la hauteur de la barrière de potentiel. Cette réduction a en effet été observée dans l'expérience du miroir à atomes de notre groupe de l'Institut d'Optique à Orsay [Landragin96a]. Le potentiel dipolaire du miroir à atomes permit ainsi de sonder l'interaction de VAN DER WAALS avec une précision remarquable : il fut même possible de distinguer entre la limite électrostatique de l'interaction, où l'on néglige le temps fini de propagation du champ électro-magnétique entre l'atome et l'interface, et une théorie plus précise basée sur l'électrodynamique quantique.
Nous ne pouvons pas exposer ici le refroidissement radiatif d'atomes par laser, ce que d'autres ont d'ailleurs fait mieux avant nous : pour ce sujet, il est difficile de ne pas renvoyer le lecteur aux travaux de C. COHEN-TANNOUDJI [Cohen84,Cohen85b,Cohen89,Aspect89,Aspect91a]. Nous ne pouvons que rappeler, au chapitre introductif 1, l'interaction entre un atome et le champ lumineux dans le régime où c'est le potentiel dipolaire qui détermine le mouvement de l'atome. Dans la partie I de ce mémoire, nous étudions la barrière de potentiel du miroir à atomes (chapitre 2), avec une brève description de l'influence de l'interaction de VAN DER WAALS. Dans la suite de la première partie, nous considérons un potentiel simplifié avec une forme exponentielle qui modélise la réflexion d'un atome dont le point de rebroussement est loin du sommet de la barrière de potentiel. Le potentiel exponentiel est suffisamment simple pour permettre des solutions analytiques pour les fonctions d'onde atomiques. A l'aide de ces solutions, nous étudions le déphasage à la réflexion par le miroir (chapitre 3), ainsi que la réflexion par un potentiel attractif pour lequel aucune réflexion n'est possible d'un point de vue classique (chapitre 4).
En ce qui concerne les parties II et III sur la diffraction et la réflexion diffuse, donnons encore la parole au physicien.
Pour décrire le mouvement d'un atome dans l'onde évanescente stationnaire qui réalise un réseau de diffraction en réflexion, le physicien sera tenté de procéder par analogie à la diffraction par une onde stationnaire lumineuse en transmission. Dans ce contexte, la diffraction d'atomes s'appelle également « effet KAPITZA-DIRAC quasi-résonnant » et des efforts considérables ont été consacrés à son étude [Cook78,Stenholm78,Kazantsev80,Bernhardt81,Cohen84,Pritchard85,Cohen85b,Pritchard88a, Wilkens91b,Wilkens92,Walls94a,Wilkens94,Zeilinger96a,Rempe96a]. L'on peut interpréter la diffraction de l'atome par des cycles d'absorption et d'émission stimulée de photons des deux ondes lumineuses qui forment l'onde stationnaire : lorsque l'atome absorbe un photon d'une onde et en émet un autre dans l'autre onde, il échange une quantité de mouvement de deux impulsions de photon le long de la direction parallèle à l'onde stationnaire. Dans l'onde évanescente cependant, les « photons » ont des propriétés particulières parce que d'une part, ils se propagent le long de l'interface avec un vecteur d'onde plus grand que le vecteur d'onde optique dans le vide et d'autre part, ils présentent un profil d'intensité dans la direction perpendiculaire à l'interface qui est beaucoup plus raide que celui d'une onde lumineuse se propageant dans le vide. L'analogie entre les deux ondes stationnaires lumineuses ne semble donc pas si simple. La faible « épaisseur » de l'onde évanescente stationnaire pourrait encore faire naître l'idée de la rapprocher d'un réseau de diffraction « mince » où l'on suppose que c'est seulement dans la direction parallèle au pas du réseau que l'échange de la quantité de mouvement a lieu, alors que dans la direction perpendiculaire au pas du réseau (la direction longitudinale), le mouvement de l'atome n'est pas modifié. (Dans l'optique atomique, cette approximation est associée aux noms de RAMAN et NATH [Bernhardt81].3) Mais le physicien hésitera de nouveau parce que dans l'onde évanescente, la trajectoire de l'atome a une forme complexe, étant donné qu'elle présente un point de rebroussement ; en outre, il ne paraît pas évident de décrire l'échange de photons entre l'atome et l'onde évanescente stationnaire alors que la longueur d'onde atomique semble devenir infinie au point de rebroussement.
Peut-être une collègue pourra-t-elle aider notre physicien à vaincre quelques-unes de ses inquiétudes : la collègue qui étudie la réflexion et diffraction d'atomes par des surfaces cristallines « nues » (sans onde évanescente) [Hoinkes80,Toennies93]. Il s'agit dans ce domaine de la physique certes d'atomes avec une énergie beaucoup plus élevée que celle des atomes lents réfléchis par l'onde évanescente, mais par ailleurs, l'on y rencontre des problèmes analogues : comme les atomes ne peuvent pénétrer dans le cristal, sa surface correspond à une barrière de potentiel sur laquelle les atomes se réfléchissent ; et pour interpréter par exemple la diffraction, l'on fait appel à un échange de « phonons », c'est-à-dire des ondes de son de la surface cristalline. La collègue de la physique des surfaces peut alors faire part à notre physicien d'une théorie sexagénaire de la diffusion des ondes de matière par une surface cristalline : les premières contributions remontent aux années trente de notre siècle, peu après la naissance de la mécanique quantique, elles sont dues, entre autres, au groupe de J. E. LENNARD-JONES [Devonshire36,LennardJones37]. Dans cette théorie, l'interaction entre l'atome et la surface ressemble à une collision que l'on peut décrire par une approche perturbative similaire à l'approximation de BORN, à la différence que les fonctions d'onde non perturbées ne sont pas des ondes planes, mais qu'elles décrivent la réflexion spéculaire par une surface parfaitement plane. Notre physicien atomique sort donc rassuré de la rencontre avec la collègue de la physique des surfaces : une telle analogie jette en effet un peu plus de lumière sur la description théorique de l'onde évanescente stationnaire en tant que réseau de diffraction d'atomes en réflexion.
Après avoir obtenu, à la partie I, les fonctions d'onde atomiques pour la réflexion spéculaire par une onde évanescente simple, nous nous tournons dans la partie II vers la diffraction par une onde évanescente stationnaire. Le chapitre central en est le chapitre 7 qui présente une approche perturbative à l'aide de l'approximation de BORN où nous utilisons les fonctions d'onde pour la réflexion spéculaire comme solutions non perturbées. D'après la physicienne des surfaces, cette approche s'appelle l'« approximation de BORN à partir d'ondes déformées » (distorted wave BORN approximation) [Cabrera70] parce que ses solutions à l'ordre zéro ne sont pas des ondes planes. Le chapitre 7 permet d'identifier des régimes physiques différents pour lesquels nous présenterons, aux chapitres 8 à 11, des approches particulières pour aller au-delà de la limite perturbative.
La rencontre entre les deux physiciens soulève maintenant une question de la part de la physicienne des surfaces : elle sait bien, elle, que les surfaces ne sont jamais parfaitement planes, et qu'elles présentent de la rugosité avec des variations de hauteur au moins de l'ordre de l'Ångström, étant donné que ce sont des atomes individuels qui la composent. Les deux iront poser la question à l'opticien en ce qui concerne les surfaces diélectriques : oui, les meilleurs polis ont en effet une rugosité résiduelle de cet ordre de grandeur [Eastman74,Croce84,Pelletier84]. Quelle est donc l'influence de ces irrégularités sur le miroir à atomes et sur la spécularité de la réflexion atomique ? Le physicien doit avouer que les atomes incidents sur le miroir à onde évanescente ont une longueur d'onde de quelques dizaines d'Ångström, ce qui n'est pas si loin de la rugosité du diélectrique. Mais il se posera la question : les défauts de surface peuvent-ils vraiment être d'une influence importante pour un atome qui rebrousse chemin à une distance de l'ordre de la longueur d'onde optique, soit à des milliers d'Ångströms ? Les deux physiciens sont encore dans l'atelier de l'opticien lorsque celui-ci intervient en rappelant que le champ proche au-dessus d'une surface diélectrique retrace en effet le profil de la surface : c'est ainsi que dans la microscopie optique à effet tunnel, l'on a accès à la topographie de la surface, en mesurant le champ proche avec la pointe d'une fibre optique [Cites92,Courjon94,Mlynek94,Greffet96]. Ayant entendu cette remarque et se souvenant que la barrière de potentiel du miroir à atomes est en effet donnée par l'intensité du champ lumineux au-dessus de la surface, le physicien n'est plus très loin de réaliser que la barrière de potentiel du miroir à atomes n'est pas parfaitement plane. La réflexion d'atomes peut donc devenir diffuse, et en effet, ceci a été observé récemment par notre groupe à Orsay [Landragin96b].
La réflexion diffuse d'atomes par le miroir à atomes représente le sujet de la partie III de ce mémoire. Nous proposons au chapitre 15 des mécanismes physiques qui induisent une interaction entre l'atome et la surface rugueuse du diélectrique, et nous caractérisons la distribution angulaire des ondes atomiques réfléchies. Nous étudions en particulier dans quelle mesure la réflexion diffuse d'atomes donne des renseignements sur la rugosité de surface du diélectrique. En ce qui concerne le miroir à atomes en tant qu'élément de l'optique atomique, cette partie III contribue à préciser les contraintes sur les surfaces utilisées dans l'expérience si l'on veut que la réflexion par le miroir soit « la plus spéculaire » possible.
Présentons maintenant le plan du présent mémoire, avec une attention particulière pour les approches théoriques que nous avons suivies.
Une fois que nous avons adopté une description de l'interaction entre l'atome et le champ lumineux en termes du potentiel dipolaire (au chapitre 1), la réflexion d'atomes se réduit à un problème élémentaire de la mécanique quantique : la solution de l'équation de SCHRöDINGER pour une barrière de potentiel répulsive (chapitre 2). Pour le « mécanicien quantique », la réflexion est alors entièrement caractérisée par le déphasage de l'onde réfléchie.4 Le potentiel dipolaire de l'onde évanescente le met en outre dans la situation heureuse que la barrière de potentiel est d'une forme particulièrement simple (une fonction exponentielle) qui permet de trouver des solutions analytiques explicites à l'équation de SCHRöDINGER (au chapitre 3). Les premiers à les écrire furent J. M. JACKSON et N. F. MOTT en 1932 [Mott32].5 Ayant à notre disposition une solution complète du problème de la réflexion, nous pouvons étudier deux situations limites : il s'agit des régimes semi-classique et quantique où la longueur d'onde de l'onde atomique incidente est soit très petite, soit très grande devant la longueur caractéristique du potentiel exponentiel.6 Dans la limite semi-classique, la solution analytique exacte permet de retrouver le résultat donnée par l'approximation BKW [Messiah] : l'on peut alors obtenir la phase de l'onde réfléchie en intégrant l'impulsion le long de la trajectoire classique réfléchie par le potentiel. Dans la limite quantique par contre, la barrière de potentiel varie rapidement à l'échelle de la longueur d'onde incidente. L'on obtient alors une bonne approximation du déphasage à la réflexion en remplaçant le potentiel exponentiel par une barrière de potentiel infinie. Dans cette limite, il est même possible d'observer la réflexion d'une onde atomique, avec un coefficient de réflexion non nul, par un potentiel exponentiel attractif sur lequel aucune réflexion ne se produit d'un point de vue classique (chapitre 4). Tels sont les résultats de la première partie de ce mémoire où nous nous limitons au problème simple d'une barrière de potentiel de forme exponentielle.
Du point de vue de la mécanique quantique, la diffraction d'atomes par une onde évanescente stationnaire se présente dans le cadre suivant : il est nécessaire de décrire l'atome par une approche ondulatoire pour que la notion de diffraction ait un sens. Le champ lumineux par contre n'intervient qu'à travers le potentiel dipolaire que nous pouvons décrire par un potentiel externe indépendant du temps, comme dans la théorie quantique de la diffusion. L'onde atomique est diffractée parce que le potentiel externe lui transfère des vecteurs d'onde, tout en respectant la conservation de l'énergie. Il s'ensuit que le « mécanicien » développera une théorie de la diffraction d'atomes par l'onde évanescente stationnaire, dans laquelle il n'y a pas de « photons » (parce que le champ lumineux n'est pas quantifié).
Nous ferons encore une concession au mécanicien et à son souci de simplification, en présentant d'abord, au chapitre 7, un étude perturbative de la diffraction. Nous considérerons une onde évanescente stationnaire avec une faible composante contra-propageante. Le potentiel dipolaire contient alors une partie avec une modulation spatiale, superposée sur un potentiel non modulé. L'approche perturbative consiste à traiter la partie modulée du potentiel comme une perturbation, dans l'approximation de BORN à partir d'ondes déformées. Il s'avère que le point de rebroussement de l'atome ne présente pas de problème lorsque l'on prend les fonctions d'ondes exactes pour la réflexion spéculaire comme point de départ dans le développement perturbatif : celles-ci varient en effet de façon régulière autour du point de rebroussement.
Les résultats principaux de la théorie de diffraction perturbative sont les suivants : d'une part, dans le régime semi-classique et au voisinage de l'incidence normale, il suffit d'une onde évanescente avec une faible composante stationnaire pour exciter les premiers ordres de diffraction non spéculaires. L'onde atomique présente donc une grande sensibilité aux variations spatiales du potentiel dipolaire du miroir à atomes. D'autre part, dans la direction perpendiculaire à la surface du miroir, la différence du vecteur d'onde de l'onde atomique diffractée par rapport à une réflexion spéculaire, est au plus de l'ordre de la constante de décroissance caractéristique de l'onde évanescente. Ceci implique que dans le régime semi-classique, la composante normale du vecteur d'onde atomique est quasiment conservée, à une réflexion spéculaire près. Par conséquent, le potentiel dipolaire ne peut transférer le vecteur d'onde nécessaire à la conservation de l'énergie en incidence oblique et rasante, et la diffraction devient alors inefficace.
Mais le physicien voudra aller plus loin que l'approximation de BORN qui est limitée au calcul des premiers ordres de diffraction non spéculaires. Nous mettrons ici en relief deux parmi les quatre approches que nous présentons à cet effet : l'« approximation du réseau de phase mince » (chapitre 8) et la « diffraction assistée par structure interne » (chapitre 11).
L'approximation du réseau de phase mince est développée au chapitre 8. Elle s'appuie sur le fait que les expériences de miroir à atomes se situent généralement dans le régime semi-classique où la longueur d'onde atomique est faible devant les échelles caractéristiques du potentiel.7 Nous choisissons alors une position de départ différente : au lieu de résoudre l'équation de SCHRöDINGER, nous nous plaçons dans la limite semi-classique de la formulation de la mécanique quantique dans l'intégrale de FEYNMAN [FeynmanHibbs,Heller92,Cohen93a,Cohen94]. La phase de la fonction d'onde s'obtient alors au moyen de l'intégrale d'action8 que l'on calcule le long d'une trajectoire classique. Cette approche généralise l'approximation BKW à un nombre arbitraire de dimensions. En optique lumineuse, une approche analogue correspond à l'optique géométrique9, où l'on calcule la phase du champ lumineux à l'aide du chemin optique le long des rayons géométriques. A partir de ce cadre théorique, nous développons une approche perturbative où ce n'est pas la fonction d'onde qui fait l'objet d'un développement perturbatif, comme dans l'approximation de BORN, mais plutôt sa phase. L'on peut alors interpréter la diffraction de l'onde atomique par une modulation de phase spatiale que lui impose le réseau de diffraction. Pour une amplitude de modulation de phase plus grande que l'unité, plusieurs ordres sont présents dans la figure de diffraction. En optique lumineuse, une approche équivalente est utilisée pour la diffraction par des réseaux de phase minces, et c'est pour cette raison que nous avons choisi le nom d'« approximation du réseau de phase mince ». Comme l'a montré C. COHEN-TANNOUDJI [Cohen93a,Cohen94], cette approximation peut servir de façon plus générale à calculer le déphasage de la fonction d'onde atomique lorsque l'atome est soumis à un potentiel faible, un problème qui se pose fréquemment dans l'interférométrie. La physicienne des surfaces connaîtra une approximation équivalente sous le nom de « trajectory approximation », dont les premiers traces remontent à J. L. BEEBY [Beeby71] et qui a été développée dans les groupes de A. C. LEVI de l'Université de Genova (Italie) [Garibaldi75], de P. TOENNIES du Max-Planck-Institut für Strömungsforschung à Göttingen (Allemagne) [Meyer81], de D. M. NEWNS de l'Imperial College à London (Grande-Bretagne) [Newns82] et de W. BRENIG de l'Université Ludwig Maximilian à München (Allemagne) (voir [Brenig93]).
Au chapitre 11, nous ferons appel à la structure interne de l'atome pour interpréter la diffraction d'atomes en incidence rasante. Historiquement, il s'agit là de la première approche expérimentale à la diffraction, et nous devons confronter la théorie aux observations expérimentales des groupes de W. ERTMER à Bonn et de V. LORENT à Paris-Nord [Ertmer94,Brouri96]. L'approche du potentiel dipolaire se trouve en difficultés pour expliquer la diffraction en incidence rasante, parce qu'elle interdit, à cause de la quasi-conservation de la composante normale du vecteur d'onde atomique, les transferts de vecteur d'onde entre les ordres de diffraction qui sont imposés par la conservation de l'énergie. Nous présentons donc des théories de diffraction alternatives qui ont été développées pour le cas de l'incidence rasante par R. DEUTSCHMANN, W. ERTMER et H. WALLIS de l'Université de Bonn [Wallis93,Ertmer93]. En comparant la théorie aux observations expérimentales, nous soulignons que la diffraction est seulement possible si elle fait intervenir des transitions entre les sous-niveaux magnétiques de l'état fondamental atomique. Une telle conclusion a déjà été présentée par le groupe de C. M. SAVAGE de l'Université Nationale d'Australie (Canberra), moyennant une solution numérique de l'équation de SCHRöDINGER dépendante du temps [Savage95,Savage96].
Dans la partie III de ce mémoire, le « mécanicien quantique » se voit confronté à l'observation expérimentale qu'en incidence normale, la réflexion d'atomes par le miroir à onde évanescente est plutôt diffuse que spéculaire [Landragin96b]. Etant convaincu par le physicien et l'opticien que le champ lumineux présente des irrégularités qui sont dues à la rugosité de la surface du diélectrique, il choisira une approche statistique à la rugosité ainsi qu'à la réflexion diffuse (chapitres 13 et 14). Par cette approche, nous traduisons notre ignorance de la forme détaillée du profil de la surface rugueuse, et nous nous limitons à prédire des valeurs moyennes par rapport à un ensemble de réalisations indépendantes de la surface. En optique, une théorie analogue est suivie pour caractériser la diffusion de la lumière par une surface rugueuse10 ; dans la diffraction d'atomes par des surfaces cristallines, il faut introduire un tel cadre pour tenir compte du mouvement thermique de la surface [Berry75,Levi79]. Nous introduisons au chapitre 14 deux notions centrales pour caractériser la réflexion diffuse atomique : la distribution angulaire moyenne des atomes réfléchis, ainsi que leur fonction de cohérence. Bien qu'elles contiennent une information équivalente, ces notions décrivent des situations physiques différentes : la distribution angulaire correspond à une expérience de diffusion, comme celle d'Orsay [Landragin96b], alors que la fonction de cohérence est mesurée par un dispositif interférométrique, comme par exemple l'interféromètre atomique qui a été réalisé par le groupe de J. DALIBARD à Paris [Dalibard96], où les atomes sont réfléchis plusieurs fois par le miroir à onde évanescente.
Aux chapitres 15 et 16, nous présentons les mécanismes physiques d'interaction entre l'atome et la surface rugueuse qui rendent diffuse la réflexion des atomes. Nous considérons d'abord les « potentiels rugueux » au voisinage de la surface (chapitre 15) et ensuite le potentiel dipolaire du champ lumineux diffus dans le demi-espace au-dessus de la surface (chapitre 16). En particulier, nous étudions dans quelle mesure la réflexion diffuse d'atomes permet d'obtenir des renseignements sur le profil de la surface rugueuse. La diffusion d'atomes lents représenterait une application intéressante du miroir à atomes qui permettrait de caractériser la qualité d'une surface diélectrique, à l'échelle de la longueur d'onde atomique et ce de façon non déstructive.
1 Dans un piège magnéto-optique, les atomes sont soumis à des faisceaux lumineux et un champ magnétique quadrupolaire (voir par exemple [Salomon94a]). Sous l'action conjointe de la pression de radiation, du pompage optique et de l'effet ZEEMAN, un nuage atomique se forme avec une taille de l'ordre du millimètre, où les atomes sont animés d'une vitesse de quelques centimètres par seconde. Ceci correspond à une température de l'ordre du millionième de degré au-dessus du zéro absolu.
2 Au sens habituel du terme, l'intensité de l'onde évanescente n'existe pas parce que celle-ci n'est pas un mode rayonnant du champ lumineux. Nous utiliserons ici la notion d'intensité dans un sens plus large, pour désigner le module au carré de l'amplitude du champ électrique.
3 RAMAN et NATH l'ont développée pour la diffraction de la lumière par une onde acoustique stationnaire, voir au chap. XII de M. BORN et E. WOLF, Principles of Optics (Pergamon Press, 1959).
4 A. MESSIAH, Mécanique Quantique (Dunod, Paris, nouvelle édition 1995), tome 1, chap. X.
5 JACKSON et MOTT étudièrent alors l'échange d'énergie à l'interface entre un gaz et un solide.
6 Dans ce mémoire, nous utilisons l'adjectif « semi-classique » dans le sens précisé ci-dessus. Notons qu'il existe un usage différent du mot « semi-classique » dans le contexte du refroidissement radiatif, où l'on considère un atome avec une position et une vitesse bien définies et dont on décrit de facon quantique la dynamique des états internes. Dans ce contexte-là, le mouvement du centre de masse de l'atome est décrit de facon classique, il n'y a pas de fonction d'onde « externe ». Si par contre le mouvement externe de l'atome est quantifié, l'on se sert par exemple des « équations de BLOCH optiques généralisées » ou des « fonctions d'onde Monte Carlo ». Ces approches ne sont pas nécessaires ici parce qu'en négligeant l'émission spontanée, il est justifié de décrire l'atome par une fonction d'onde (un « état pur »).
7 Nous voudrions souligner que dans l'approximation du réseau de phase mince, l'extension du réseau n'est pas faible devant la longueur atomique, bien que le qualificatif « mince » puisse le suggérer. Le contraire est le cas, étant donné que l'on se place dans le régime semi-classique. C'est la forme des trajectoires classiques dans le réseau qui détermine si celui-ci est « mince ».
8 L'intégrale d'action est une quantité empruntée au formalisme lagrangien de la mécanique classique dont nous rappelons les principes au chapitre 1. Dans ce contexte, les trajectoires classiques sont déterminées par un principe variationnel, le « principe de moindre action » : ce sont elles qui minimisent l'action.
9 Nous utiliserons dans ce mémoire la notion d'« optique géométrique » dans un sens un peu large, en y incorporant la notion de la phase du champ lumineux. Le long d'un rayon de l'optique géométrique habituelle, la phase est donnée par le chemin optique, en divisant par la longueur d'onde lumineuse.
10 M. NIETO-VESPERINAS, Scattering and Diffraction in Physical Optics (Wiley, 1991), chap. 7.